WOLF (1971)

1971. Swanson, 33 ans est addict à l'alcool, au tabac, au sexe ainsi qu'à quelques drogues douces mais allergique à toute forme d'habitudes et incapable de garder travail et petite amie. Désabusé de n'être pas l'écrivain reconnu qu'il rêve d'être, il se contente de petits boulots pris au hasard de ses déplacements et ne sépare pas de ses livres préférés. Alors qu'il passe une semaine à camper au milieu de la forêt vivant de sa chasse et de sa pêche ou encore de ses conserves, sans fumer ni boire, il passe en revue les souvenirs de sa jeunesse, à compter de son départ de la maison familiale, à l'âge de 18 ans.

Il n'y a plus que trois ou quatre cents loups dans tout le pays. On les entend rarement, quant à les voir, c'était pratiquement impossible, à moins de circonstances artificielles, en survolant par exemple l'île Royale en hiver. J'avais l'impression que si je réussissais à en apercevoir un, ma chance tournerait. Peut-être le suivrai-je à la trace jusqu'à ce qu'il s'arrête et me salue, puis nous nous embrasserions et je deviendrais loup. (p.94)

Première oeuvre de Jim harrison, "Wolf" est également une sorte de biographie romancée où l'auteur met pour ainsi dire ses tripes sur la table. C'est puissant, envoûtant., un style époustouflant, parfois cru. Superbe.

On y découvre la cause de son infirmité (souvent le héros de ses romans ou l'un des ses personnages -adulte ou enfant-est infirme), ses convictions religieuses, sociales et politiques, son amour pour la nature et les nourritures terrestres, faites pour le ventre et l'âme.
Donnez aux jeunes le temps de manger, baiser, boire, aimer, voyager et avoir des enfants. Si ces ventres bedonnants ne sont pas efficaces, nous leur enverrons en renfort d'autres ventres bedonnants. Je parle évidemment du point de vue confortable d'un réformé, ayant eu un oeil pratiquement arraché de son orbite par un cul de vase brisé, derrière un hôpital, quand j'avais cinq ans. (p.120)
Ici, pas question de transformation en loup-garou ou quoi que ce soit, il est au contraire question de se transformer en homme, libre de ses actes et libéré de ses angoisses intérieures.
Je ne suis pas un Heathcliff, il n'y a autour de moi ni vastes landes, ni chiens de chasse. Où est "celle" qui me sauvera, qui me sortira de cette énigme qui ne fait que mener à une autre ? J'ai perdu ma foi en ce que je croyais être "comprendre les choses", en ces diverses langues qui, sous mon crâne, parlaient quotidiennement d'alternatives, résistances, divisions, instructions, directions. Toutes les sensuosités intérieures du langage et du style. Et je vis la vie d'un animal et transmute mes enfances, enfances au pluriel parce que je répète toujours, ne conquiers jamais, vie en forme de cercle plutôt que serpentin ou spirale. Je me suis dis : "Va dans les bois, là-bas", mais trouverai-je à mon retour une langue commune ? En avons-nous besoin ? Une telle langue a-t-elle jamais existé en ce monde ? Je le crois. (p.140)
Jim Harrison, plus que jamais et avant tout le reste de son oeuvre, exprime avec fulgurance sauvage ses démons essentiels :
Ressentirais-je profondément autre chose qu'un simple instinct de survie ? Oui. L'envie de manger, de boire, de baiser, et de me retrouver dans une forêt inhabitée. En y recevant la visite hebdomadaire d'une belle jeune fille qui arriverait vers moi vêtue de gaze, flottant sur un radeau de joncs liés de cheveux humains. Elle ressemblerait étrangement à l'image que je me fais d'Ophélie et nous ferions l'amour jusqu'à ce que, bien sûr, le sang se mette à couler de nos yeux et des pores de notre peau. (p.154)
Ce roman me fait penser à Ulysse, commencé mais pas encore achevé, et d'ailleurs l'auteur via son personnage, nous souffle un peu le nom de ses auteurs préférés comme s'il se tenait dans l'ombre du rideau et que nous ne nous souvenions plus de notre texte.
Lors de ma dernière année de lycée, je m'étais fabriqué un personnage calqué sur ces jeunes gens, en ajoutant à ce modèle une large dose de Stephen Dedalus en guise de bouquet garni. Je serai devenu un petit merdeux prétentieux, si je ne m'étais ensuite plongé corps et âme dans Whitman, Faulkner, Dostoïevski, Rimbaud puis Henry Miller qui fut une transition continue, une nourriture contre la mélancolie. (p.182)
Jim Harrison commença sa carrière d'auteur en publiant des poèmes ; sa sensibilité à fleur de peau se devine dans tous les livres que j'ai lus jusqu'à présent, et celui-ci contient l'humus de beaucoup de romans qui y puiserons leur vitalité.
- Pourquoi veux-tu aller à New York ?
- Je n'ai pas envie de rester ici.
- Tu y es déjà allé une fois.
- Je veux essayer encore.
- Où vas-tu travailler ?
- Je ne sais pas. j'ai quatre-vingt-dix dollars.
Puis j'étais monté, et j'avais mis mes affaires dans la boîte en carton. Quelques vêtements qui m'allaient mal. La machine à écrire qu'il m'avait acheté pour vingt dollars deux ans plus tôt. Et cinq ou six livres - ma bible, Rimbaud, "Les Possédés" de Dostoïevski, le Faulkner de poche, "Mort à venise" de Thomas Mann et "Ulysse". Ceux-là, exactement. J'allai chercher de la corde à linge à la cave et en entourait le carton. Mon père était assis à la table de la cuisine.
- Prends ma valise.
- Je ne peux pas y mettre la machine à écrire. Et en plus, tu t'en sers.
- J'aimerais pouvoir te donner un peu d'argent.
- Je n'en ai pas besoin.
Je m'étais assis avec lui et avais bu une canette de bière. (p.247)
Un livre que je recommande. Il donne envie d'écrire et de ne lire que des choses bien écrites.


titre original : Wolf, a false memoir
traduit de l'anglais (américain) par Marie-Hélène DUMAS
250 pages

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