DALVA (1988)

Santa Monica, 1986. Parce qu’elle est menacée de mort pour avoir pris la défense d'un jeune garçon violé, Dalva décide de quitter Santa Monica pour le Nebraska, berceau de sa famille. Son proche départ est l’occasion pour elle de se mettre à écrire une sorte de journal testament destiné à ce fils qu'elle a dû abandonner dès sa naissance.

Cette nuit là, j’ai dû me réveiller et me rendormir une bonne centaine de fois, l’oreille tendue vers le grincement des palmes agitées par le vent, vers les bruits de la fête, les éclaboussures des gens qui sautaient dans la piscine, les cris brouillés que l’humidité et les murs estompaient jusqu’à ce que tous les mots et les rêves du monde deviennent ronds. (p.179)

Jim Harrison est un monstre, un gargantua des histoires. On lit Jim Harrison comme on suit le fil imaginaire d’une spirale. Nous sommes happés, ficelés, fourrés comme des coqs en pâte, ventrus comme une barbapapa : le premier mot traîne à sa suite une ribambelle de sensations, sentiments, souvenirs, dans un gigantesque pêle-mêle qui ne nous étrangle jamais, même s’il est difficile de trouver un moment pour respirer.

Dalva abandonne son fils à sa naissance, elle a 16 ans. A 45 ans, elle décide de le retrouver.
J’ai serré quelques instants le bébé dans mes bras, puis je l’ai embrassé pour lui dire au revoir. J’ai voulu lui donner le collier de Duane, mais je savais que ce bijou se perdrait en route ou deviendrait l’objet de malentendus.
Michael a pris une année sabbatique dans le but d'écrire une thèse sur l'histoire du Nebraska, qui, l'espère t-il, lui apportera la gloire, ou du moins, une chaire à l'université et implore Dalva de lui laisser étudier les journaux "secrets" de ses arrière-grand-père et grand-père, des hommes exceptionnels qui ont vécu aux côtés des indiens.
Nous découvrons souvent que nous ne sommes pas tout à fait ce que nous croyons être. L’adolescent colle son nez à la vitre d’une Cadillac flambant neuve, et l’homme qu’il porte en lui ne s’en remettra jamais. Ce type se qualifie volontiers d’historien, c'est-à-dire qu’il étudie les traces des habitudes de l’humanité, les guerres, les famines, la politique, ce combustible qu’est la cupidité. Ce que nous sommes, nos actes et nos réalisations pèsent aussi lourd et le plus souvent aussi discrètement que la gravité qui nous rive au sol. La tâche de l’historien consiste à étudier cette gravité invisible, à choisir des échantillons représentatifs du passé pour les examiner à la lumière du présent.(p.194 - journal de Michael)
A travers chacun des journaux de ce roman (celui de Dalva, de Michael et des aïeuls), c'est l’histoire de l'Amérique et de l'éradication des indiens qui est au coeur du processus d'écriture. Le personnage de Dalva est la pièce maîtresse, le fil conducteur, qui mène à une autre dimension humaine : la mémoire.

Je dirais qu'il n'y a rien de trop dans ce roman, sauf peut-être quand Jim Harrison s'enflamme pour la vie sexuelle de nos héros : les femmes sont globalement insatisfaites, les hommes ne pensent qu'à ça. Fantasmes et clichés un peu énervants car je n'aime pas tenir le rôle du "voyeur" et, si je m'amuse des petites scènes corps à corps nus que JH nous concocte, je trouve le trait un peu forcé.

Difficile de dire combien ce roman est beau : émotions, nature, flore et faune, bisons et chevaux, voilà une lecture passionnée d'une histoire passionnante avec laquelle je viens d'avoir rendez-vous, un livre que l'on ne désire pas achever. Quitter Dalva c'est un peu se quitter soi-même.

Traduction par Brice MATTHIEUSSENT
555 pages

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