LA FEMME AUX LUCIOLES (1990)

un recueil de 3 nouvelles

Chien brun
100 pages
Plutôt marginal malgré ses 40 ans passés, CB surnommé "chien brun" n'a pourtant pas de sang indien pour ce qu'il en sache, quoique son père est inconnu. Plongeur-découvreur-voleur d'épaves dans le lac Michigan, il détrouve un jour le corps d'un vieux chef indien qui vaut une belle petite somme, mais l'opération de repêchage n'est pas aisée ni discrète et CB se fait attraper, d'autant qu'il n'en est pas à son premier méfait. En couple avec Shelley, une étudiante ethnologue spécialisée sur le peuple indien, il accepte d'écrire un journal, une sorte de thérapie zen, mais devine que la jeune femme n'est intéressée par lui que parce qu'il a découvert un ancien cimetière indien qu'elle veut voir à son tour. CB lui, garde l'espoir secret de revoir un jour Rose son amour d'enfance, qui elle est indienne.

Sunset limited
107 pages
Apprenant que Zip, leur ancien compagnon est accusé de terrorisme et emprisonné au Mexique où il risque 50 ans d'emprisonnement et la mort en guise de règlement de compte, quatre quarantenaires décident de tout faire pour libérer le cinquième membre de leur ancien groupuscule révolutionnaire étudiant. Malgré quelques coups de fils bien placés, les quatre se rendent vite compte sur place que leur ancien ami est dans le colimateur du gouvernement américain qui entend bien le laisser dans sa prison ou de s'en débarrasser coûte que coûte. Par ailleurs, ils se redécouvent après plusieurs années durant lesquels ils ne se sont pas fréquentés, gardant en mémoire leur condamnation à la prison.

La femme aux lucioles
87 pages
Claire, 50 ans, étouffe dans sa vie de ménagère aisée à côté de Donald son mari. Alors que tous deux reviennent d'une visite à leur fille, Claire décide de prendre la poudre d'escampette, laisse un mot accusant son mari de maltraitance, passe la nuit dans un champ de maïs, s'abrite dans une sorte de terrier, est intriguée par la visite des lucioles à la tombée de la nuit, dialogue imaginairement avec sa fille dans une conversation stimulante et réconfortante, et découvre la force de combattre ses migraines et de commencer une vie qui puisse la satisfaire, à commencer par un voyage à Paris.


Je découvre cette fois les nouvelles de Jim Harrison. Elles sont aussi denses et intenses que ses romans, les personnages tout aussi attachants, mais je n'ai pas eu l'impression d'histoires bâclées ou poussives, au contraire, on devient le spectateur d'un instant, plusieurs instants en fait car chez Harrison la narration est rarement linéaire mais part en zig-zag entre un "présent" et un "passé".
Ce jour là, l'un de mes amis navigait sur le minéralier "Arthur Anderson" qui essaya de porter secours au bateau en détresse. Lorsque l'"Anderson" arriva à Soo, mon ami débarqua et ne remit plus jamais les pieds sur un navire. Les gardes-côtes le contestèrent, mais mon copain m'affirma que les hauts-fonds de Caribou éventrèrent la coque du "Fitzgerald" et que, malgré ses quatre pompes de cale débitant chacune vingt-cinq mille litres d'eau à la minute, le bateau reposait maintenant par deux cents mètres de fond. On ne retrouva pas un seul corps, pour les raisons que j'ai déjà dites. Ces trente-quatre hommes seront toujours au fond du lac lorsque le monde s'achèvera, ce qu'il fera sûrement un jour. Notre prêcheur disait souvent qu'aucun objet de fabrication humaine ne dure, hormis les trucs vraiment gros, comme les pyramides, et encore : même elles montrent des signes d'usure. (p.55-Chien brun)
Après lecture, je dois dire que j'ai relevé beaucoup de beaux passages dans le dernier récit La femme aux lucioles mais tous ont leur charme et leur poésie. J'ai noté que les deux premiers ont en commun une certaine fracture spiroïdale (parce que moi-même j'en ai eu une dans ma jeunesse).
La collision fut si violentte que Brad se fit une fracture spiroïdale de la jambe en percutant un petit vieux. L'équipe de sauvetage locale emmena Brad à l'hôpital de Munising, puis à celui de Marquette, car une fracture spiroïdale était trop compliquée à soigner pour les médecins de Munising. (p.53-Chien brun)
Avant le base-ball Billy avait aimé les chevaux ; mais sa soeur, de deux ans son ainée, avait souffert d'une fracture spiroïdale suite à une mauvaise chute de poney un dimanche où Billy assistait à son premier match de base-ball. Aujourd'hui encore, la seule vue d'un manège pour enfant le remplissait de mélancolie ; lorsqu'il découvrit son premier manège forain à l'âge de cinq ans, il fondit en larmes, car il croyait qu'on avait empalé les poneys en leur milieu. (p.130-Sunset limited)
Partout, un souflle de poésie, une certaine manière de voir le monde, de remonter à la surface des souvenirs et de ce qu'on fait d'eux : des idéaux ou des regrets.
Dans la mémoire de leurs grands-parents, ce pays est toujours celui où les hommes de Porfiro Diaz massacrèrent des dizaines de miliers de paysans rebelles. Ainsi, lorsque nos quatres amis se dirigèrent vers le sud et atteignirent la frontière après une heure de vol seulement, ils sont toujours un avocat, une vice-présidente de studio de cinéma, une femme rancher et un spécialiste des coyotes, puissant coktail d'incompréhension et de malentendus. Abandonner Ted Frazer, alias Zip, reviendrait à abandonner leur propre passé, à déclarer que leur enthousiasme à l'époque où ils vivaient tous ensemble, et même si l'aventure s'est mal terminée, ne signifiait rien ou était trop faible pour modifier le cours de leur existence pendant quelques jours. (p.178-Sunset limited)
Claire est le personnage le plus fort, celui dont on se souvient le plus car on vient juste de la quitter. Ses enfants sont casés et n'ont plus besoin d'elle, son mari vit sa vie dans les finances et le prince d'autrefois s'est doucement transformé en un compagnon, un peu égoïste et plus vraiment passionnant. Dans ses pensées et ses rêves, Claire comprend qu'elle a le béguin pour son médecin, mal marié d'après elle.
Une demi-douzaine de lucioles s'étaient réunies dans l'obscurité de sa caverne verte, dont les trajectoires minuscules paraissaient imiter les circonvolutions de ses pensées. (p.299)
Durant sa nuit de camping improvisé, la présence spirituelle rassurante du médecin au travers de ses recommandations pour l'aider à lutter contre la douleur, lui fait comprendre qu'elle doit trouver un moyen de lui expliquer ses sentiments.
Redevenue petite fille, elle ramait dans sa barque sur le lac Burt ; debout sur le quai, le docteur Roth l'appelait et lui demandait pourquoi elle était morte. Son rêve en était là lorsqu'elle se réveilla. La douleur se localisait maintenant dans la partie droite de sa tête, là où le docteur Roth continuait de l'appeler après son réveil. Claire, qui jouissait d'un bon équilibre, n'accorda aucune importance à ce phénomène qui n'était pas sans rappeler certains symptômes classiques des migraines. Par ailleurs, elle aimait beaucoup le docteur Roth : il était non seulement son médecin et, dans une certaine mesure son confident, mais il avait aussi été celui de Zilpha. Les rêves ne respectent pas le temps : le docteur Roth avait évidemment été un enfant à l'époque où la petite Claire ramait dans sa barque. (p.239)
Le thème récurrent est au fond la solitude : que ce soit Chien brun, Gwen ou Claire, tous veulent se croire capables de prendre un virage : certains pour retourner aux sources de leur jeunesse, d'autre pour aller de l'avant. Et ils y arrivent.

Titre original : The Woman Lit by Fireflies
traduit de l'anglais (américain) par Brice MATTHIEUSSENT
294 pages

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